Les technologies P2P sont-elles bonnes ou mauvaises ?

Notre thèse n’est pas qu’une technologie particulière mènera inévitablement à un État social déterminé. Nous reconnaissons néanmoins le rôle clé joué par les technologies dans l’évolution de la société, les nouvelles possibilités qu’elles ouvrent dès lors que certains groupes humains les utilisent avec succès. Différentes forces sociales investissent ces possibilités et tentent de les tourner à leur avantage en luttant pour tirer profit de leur utilisation. La meilleure manière d’appréhender la technologie est donc de la considérer comme un enjeu de lutte sociale, et non comme un déterminisme qui ne peut mener qu’à un seul avenir possible.

En revanche, lorsque des groupes sociaux s’approprient une technologie particulière pour leurs propres fins, cela peut effectivement mener à des changements réels dans nos systèmes sociaux, politiques, économiques. Par exemple, l’invention de la presse à imprimer, associée à d’autres inventions, a joué un rôle majeur dans l’évolution de la société européenne.

Ce qui nous intéresse est la manière dont les gens peuvent utiliser des technologies en réseau pour leurs propres fins et, ce faisant, changer la société pour le meilleur, au regard des trois critères que sont l’équité, la durabilité et l’ouverture. Si, dans le même élan, nous parvenons à dépasser le modèle extractif et exploiteur du capitalisme global, au profit d’un système de création et d’échange de valeur, fondé sur les communs, il en résultera un changement profond de la nature même de notre civilisation.

La disponibilité croissante de la technologie rend possible non seulement une communication « de beaucoup a beaucoup » en permettant à un nombre grandissant d’humains de communiquer selon des modalités qu’il n’était pas possible auparavant ; elle permet aussi qu’ils s’auto-organisent et créent ensemble de la valeur. Les technologies numériques « de beaucoup a beaucoup » facilitent non seulement l’auto-organisation de masse à l’échelle globale, mais aussi le développement de nouveaux modes de production, d’un nouveau mode d’échange et de nouveaux types de relations de production, en dehors de l’emprise conjointe de l’État et du marché.

Internet crée une opportunité de transformation sociale. Dans le passé, avec les technologies pré-numériques, les coûts exponentiels d’un passage à grande échelle en termes de communication, de coordination et de coûts de transaction, rendaient les hiérarchies et les marchés indispensables. Des sociétés humaines qui ont monté en puissance grâce à l’adoption de structures hiérarchiques ou de marché ont obtenu un avantage compétitif qui leur aura permis de triompher de leurs rivales rester à l’étape tribal. Mais il est désormais possible de développer des projets à grande échelle grâce à de nouveaux mécanismes de coordination qui permettent de rester dans une dynamique de petits groupes à l’échelle globale. Il devient donc possible de combiner des structures plus horizontales tout en opérant de manière efficace à grande échelle. Ce qui n’avait jamais été le cas auparavant.

Michel Bauwens et Vasilis Kostakis

Extrait du livre « Manifeste pour une véritable économie collaborative », éditions Charles Léopold Mayer, 2017, pp 21-23

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