Eco-anarchisme

La définition conventionnelle du « développement » – rechercher sans cesse la croissance et l’abondance  –  entraîne et accentue inévitablement la destruction écologique, l’inégalité et la pauvreté, l’effondrement social, ainsi que les conflits armés pour les ressources et les marchés. Comme je l’ai affirmé dans Abandon Affluence ! (Trainer, 1985), la clé pour enrayer cette situation potentiellement fatale est de reconnaître combien la conception dominante du développement est erronée et vicieuse, et la remplacer par l’approche de la « voie de la simplicité » (The Simpler Way), comme nous l’appelons en Australie. Cette analyse de la situation mondiale se concentre sur le fait, largement méconnu, que dans une société soutenable et juste, la consommation de ressources par habitant et habitante devrait être réduite à environ 10 % des niveaux actuels dans les pays riches. Ce raisonnement de base sur « les limites à la croissance » est présenté sur le site web du mouvement, www. thesimplerway.info. L’analyse est aujourd’hui extrêmement solide et a des implications profondes et inéluctables sur les objectifs et les moyens du développement. Dans les pays riches comme dans les pays pauvres, l’objectif doit être de créer des communautés à petite échelle, hautement autosuffisantes et autogérées, informées et animées par une culture de la simplicité et de la frugalité, avec des sources non matérielles de satisfaction de la vie. Seules des communautés de ce type peuvent réduire suffisamment la consommation de ressources par habitant, tout en permettant une bonne qualité de vie pour toutes celles et tous ceux qui peuplent la planète.

Ce que l’on oublie facilement, c’est que de tels arguments doivent être éco-anarchistes. Seules des communautés autonomes et totalement participatives peuvent gérer correctement des économies locales à petite échelle Certains systèmes centralisés et étatiques seraient toujours nécessaires, mais l’économie nationale serait réduite à une fraction de la production, du commerce et du PIB actuels. L’économie serait à croissance zéro et viserait à approvisionner les villes et les régions en petites quantités de produits de base, tel que le ciment, les tuyaux d’irrigation et les machines légères. Les communautés contrôleraient leurs propres affaires grâce aux initiatives citoyennes, avec une dépendance minimale vis-à-vis des autorités ou des bureaucraties. Il y aurait des comités de citoyens et citoyennes volontaires, des réunions pour travaux collectifs, des discussions informelles, des communs, des actions spontanées et des assemblées communales. Il n’existerait pas de ressources excédentaires qui justifieraient que les Etats centralisés administrent les systèmes locaux. Plus important encore, les bureaucraties ne possèdent, de fait, ni les savoirs locaux, ni la capacité de soutenir l’énergie et la cohésion citoyennes nécessaires à un changement généralisé. A moins que les procédures politiques ne soient rigoureusement fondées sur l’autonomisation participative, la solidarité et les bonnes décisions, les actions n’aboutiront pas.

Par-dessus tout, un véritable développement ne peut être guidé par la quête de richesse ; les sources non matérielles de satisfaction de la vie doivent remplacer l’esprit d’acquisition individualiste et compétitif. La reconnaissance internationale de ce fait est essentielle pour aider les sociétés paysannes et autochtones à éviter d’assimiler l’abondance au progrès. Et cela permet, par suite, de préserver et de célébrer les cultures traditionnelles comme un rempart supplémentaire contre l’assaut du consumérisme occidental. Malgré les progrès réalisés par les mouvements du monde riche (tels que la simplicité volontaire, les écovillages, la décroissance ou les villes en transition), la révolution éco-anarchiste sera probablement menée par les populations paysannes et autochtones. Il est essentiel de ne pas considérer cette alternative comme inférieure ou comme une consolation à côté de la voie supposée supérieure du capitalisme de consommation. Un grand nombre de personnes dans le monde sont plus ou moins déjà sur cette voie, par exemple au sein de La Via Campesina, du projet Chikukwa et du mouvement zapatiste.

En plus d’affirmer une vision particulière concernant les objectifs sociaux, « la voie de la simplicité » a des implications directes sur les moyens d’action. Une fois que la théorie standard « écosocialiste » de la transition est examinée, il devient très clair que la stratégie doit être éco-anarchiste. Les écosocialistes cherchent à prendre le pouvoir de l’Etat afin de mettre en œuvre des arrangements post-capitalistes à partir du centre politique. Ils n’essaient pas de rendre possible le type d’alternatives discutées ci-dessus ; ils sont fortement enclins à travailler pour « libérer le système industriel des contradictions du capitalisme afin que tout le monde accède à un niveau de vie élevé ». La stratégie éco-anarchiste, elle, donne la priorité à l’action de base et à la révolution culturelle par laquelle les gens ordinaires en viennent à adopter des idées, des valeurs et des systèmes alternatifs. Comme l’ont compris Kropotkine et Tolstoï, prendre le pouvoir de l’Etat est une perte de temps tant que les gens ne comprennent pas la nécessité de communautés participatives autogouvernées. C’est en fait dans l’émergence de cette vision et de cet engagement que se fait la révolution et que le changement ultérieur des structures devient possible. Prendre le pouvoir de l’Etat ou l’éliminer en est la conséquence.

L’une des principales préoccupations du projet de « la voie de la simplicité » est de fournir des détails pratiques montrant comment cette vision du développement éco-anarchiste peut être réalisée aussi bien dans les pays riches que dans les pays pauvres. En outre, un rapport de 53 pages explique comment la banlieue d’une ville riche comme Sidney pourrait être remodelée pour réduire de 90% les coûts en ressources, en dollars, ainsi que les coûts écologiques. Les banlieues, les villes rurales et les villages du tiers-monde peuvent facilement satisfaire leurs besoins fondamentaux grâce aux ressources locales et aux accords de coopération. Au lieu de nous sentir obligés de rivaliser avec l’économie mondiale, notre souci devrait être de maximiser l’indépendance par une vie collective. La stratégie de transition de « la voie de la simplicité » se concentre principalement sur le travail au sein des mouvements des villes en transition, de la décroissance, de la permaculture et des écovillages, en particulier des villages du tiers-monde, où de nombreux modèles de solutions locales, de formes d’autogouvernement communautaires et de « préfiguration » existent déjà.

Ted Trainer

Texte publié dans l’ouvrage « Plurivers – Un dictionnaire du post-développement », 2022, Wildproject, pp.239-241

Une réflexion sur “Eco-anarchisme

  1. L’article met en avant la notion d’”éco-anarchisme” en réfléchissant sur les problèmes liés au mode de développement actuel. L’idée soutenue est celle que la quête constante de croissance et d’abondance entraîne des conséquences négatives sur notre société : crise climatique ou encore accentuation des inégalités sociales. Une solution est donc proposée par l’article, c’est celle de faire le choix d’un mode de vie “simple”.

    Par exemple, ce nouveau mode de vie suggère l’utilisation de circuits courts pour la consommation. Cela permettrait notamment de réduire la dépendance aux grandes distributions, mais aussi de réduire la quantité de déchets plastiques par exemple.

    Cependant ce mode de développement alternatif proposé peut être contredit quant à sa faisabilité en particulier. En effet, la mise en œuvre de telles communautés à grande échelle, ainsi que la capacité des populations à adopter volontairement des modes de vie plus simples et frugaux paraissent difficiles.

    En effet, ce mode de vie pourrait ne pas être viable économiquement au niveau national et ainsi diminuer la qualité de vie de l’ensemble de la population. Par exemple au niveau de la santé ou du confort de vie.

    Pour conclure, l’article propose une réflexion intéressante sur le thème du mode de vie et du développement de la société en proposant la solution de l’éco-anarchisme. Toutefois certains points posant problème restent à être résolus afin de pouvoir imaginer une mise en pratique d’un tel système.

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