S’il est une chose que je désire, je l’ignore,
prisonnière à jamais
de la nescience abyssale.
L’esprit de l’homme ne peut comprendre
ni sa bouche traduire
ce qu’il trouve dans la profondeur.
Je ne me mêlerai pas aux serviteurs,
qui attendent prix ou salaires.
Si quelqu’un me demande où je suis,
je lui répondrai n’en avoir soupçon :
je ne saurai davantage l’exprimer
que meule de moulin nager dans la rivière.
Etrange histoire en vérité
et qui me met en désarroi ;
ce qui est caché aux autres m’est évident.
Comme je poursuivais l’amour,
je suis demeurée en lui,
absorbée dans un simple regard.
Celui qui entend cette simplicité,
est captif et bien lié
dans la prison de l’amour :
jamais plus il n’en pourra sortir.
Mais ils sont peu,
ceux qui soutiennent l’amour jusque là.
Ah ! mon Dieu quelle aventure
de ne plus entendre, de ne plus voir
ce que nous suivons, ce que nous fuyons,
ce que nous aimons, ce que nous craignons.
Nous avons cru jadis posséder quelque chose,
mais c’est du tout au rien que nous chasse l’amour.
Hadewijch d’Anvers, béguine du XIIIème siècle
Poème nouveau n°IX, dans « Hadewijch d’Anvers, Ecrits mystiques des béguines« , Points Sagesse, Editions du Seuil 1954