Le vivant est fondamentalement sous-optimal

Le vivant nous offre la preuve de la possibilité d’adaptabilité aux fluctuations environnementales sur le temps très long. Quelles solutions les organismes vivants ont-ils développées pour réussir à se maintenir et se développer dans un environnement fluctuant ?

Une réponse tient dans la définition de la sous-optimalité en biologie. Les organismes vivants sont localement sous-optimaux : ils utilisent des réactions, des enzymes, des processus de façon non optimale, notamment parce que ces acteurs sont souvent redondants, relativement inefficients, hétérogènes, aléatoires ou incohérents. Et pourtant l’intégration de l’ensemble de ces défauts, du moins du point de vue de l’être humain du XXIème siècle, construit des systèmes biologiques adaptables. En d’autres termes, la vie est construite sur l’absence d’optima locaux.

On pourrait donc définir la sous-optimalité comme la faculté d’évoluer sur le temps long en utilisant les faiblesses internes, non pas comme des problèmes à contourner, mais comme des ressorts permettant l’adaptabilité. Réciproquement, et étant donné la présence de ces faiblesses internes, la sous-optimalité implique que le système ne fonctionne pas au maximum de ses capacités. Il s’agit donc bien d’une inversion de paradigme : alors que l’optimisation fragilise, la sous-optimalité utilise les fragilités pour construire de la robustesse.

La sous-optimalité se conçoit en fait à l’échelle de la population : la survie du groupe et son évolution passent devant le confort de chacun. Il s’agit donc d’une stratégie de résistance collective, fondée sur les défaillances et les fragilités individuelles.

L’art japonais du kintsugi (lié au wabi-sabi, la philosophie de l’imperfection) pourrait illustrer ce point paradoxal : en soulignant les brisures de la céramique par des joints dorés, l’objet devient plus beau encore, par ses fêlures locales et son histoire magnifiée. Dit autrement, la sous-optimalité acte que la vie est en fait une survie : les organismes vivants sont constamment soumis à des contraintes, et plutôt que vivre au maximum des capacités théoriquement possibles, le vivant vit en-dessous de ses capacités, pour rester adaptable. Il est sous-optimal. Comme le dit Michel Serres , les faiblesses apparentes deviennent des forces : « Pour qu’un écosystème s’adapte aux changements, il faut le concevoir et le construire muni de jeux, comme on dit de rouages qu’ils ont du jeu, c’est-à-dire des faiblesses. Toute évolution ne naît que de fragilités ».

Olivier Hamant

Extrait du livre « La troisième voie du vivant », 2022, publié chez Odile Jacob, pp. 111-112

Laisser un commentaire