Aï-Khanoum, une cité grecque en Bactriane

Entre 1965 et 1978, les archéologues français ont pu mener des fouilles dans une cité nouvellement découverte en Bactriane, c’est-à-dire en Afghanistan, appelée Aï-Khanoum.

Aï-Khanoum nous réserve des surprises, comme les autres cités hellénistiques fondées par Séleucos I Nicator: cette cité dans son unicité se trouve très éloignée de la mer Méditerranée! Elle fut découverte relativement récemment, autre surprise. Allons donc à la découverte des surprises gréco-macédoniennes!

Nos guides seront, entre autres, Frank L. Holt qui nous introduira à Paul Bernard (Alexandre et Aï-Khanoum, in Journal des Savants (1982); An Ancient Greek City in Central Asia, in Scientific American, January 1982; Fouilles de la mission francosoviétique à l’ancienne Samarkand (Afrasiab): Première campagne, 1989, in Comptes Rendus de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres (1990); L’Asie Centrale et l’empire séleucide, in Topoi 4 (1994); Jean-Paul roux, Rémy Boucharlat, M. Casanova,Graham Shipley et d’autres.

La situation géographique d’Aï- Khanoum est la clef qui nous ouvre la porte sur le monde de l’épopée alexandrine et de la période hellénistique et séleucide.

Aï-Khanoum se trouve dans la région de l’Afghanistan appelée Kunduz, au confluent de la rivière Amu Darya1, connue des Grecs sous le nom de Oxus, et la rivière Kokcha. L’Amu Darya, le plus long fleuve d’Asie centrale, est formé par la jonction de la rivière Vakhsh et de la rivière Panj. Les habitants de la région l’appellent souvent Jayhoun, qui est un dérivé de Gihon (Dgihun), le nom biblique d’une des quatre rivières du jardin d’Eden, ou paradis2. Certains pensent que le nom Oxus donné par les Grecs est une dérivation ou une hellénisation du nom Vakhsh. Nous voyons que l’Oxus-Amu Darya est un fleuve important dans cette région du globe et qu’il forme plusieurs frontières. En grec « oxus » signifie « tranchant », aigu, acéré, perçant, âcre, aigre, avec une idée parfois de douleur dans ce percement, dans cette acuité. Si les Grecs et Macédoniens de l’époque ont hellénisé Vakhsh3 en Oxus, c’est que le fleuve qu’ils devaient longer, traverser,

  • Darya signifie ‘large fleuve’. Amu est aussi écrit Amou.
  • O paradeisos, -ouen grec signifie jardin. La rivière est connue sous le nom de Jayhoun depuis le MoyenÂge chez les écrivains islamiques.

3 L’Oxus est mentionné dans le Vayu Purana et le Matsya Purana sous le nom de Chakshu coulant à travers les pays des Tusharas, Lampakas, Pahlavas, Paradas, Shakas, etc.

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conquérir, et dont ils devaient s’accommoder pour leurs besoins en eau (d’ailleurs non potable), ils avaient une raison autre qu’une ressemblance phonétique. Strabon4 nous dit que l’Oxus et l’Iaxarte se jettent tous deux dans la mer Caspienne. C’est parce qu’à son époque, les géographes confondaient la mer d’Aral et la mer Caspienne. Il nous fait part aussi des difficultés du calcul des distances:  » …car parmi les auteurs qui ont parlé de ce fleuve » (il s’agit de l’Ochus)  » les uns veulent qu’il traverse toute la Bactriane, les autres qu’il en longe seulement la frontière; les uns, qu’il forme un cours d’eau plus méridional que l’Oxus et entièrement distinct et indépendant de celui-ci, les deux fleuves débouchant séparément dans la mer Caspienne, en Hyrcanie; les autres, qu’après avoir coulé d’abord distinct et séparé de l’Oxus avec une largeur qui en maint endroit atteint jusqu’à six et sept stades, il finisse par s’unir avec ce fleuve et par ne plus former avec lui qu’un seul et même courant. En revanche, il est notoire que l’Iaxarte demeure d’un bout à l’autre distinct et indépendant de l’Oxus, se jetant, comme lui, directement dans la Caspienne. Patrocle fixe même à quelque chose comme 80 parasanges la distance qui sépare l’une de l’autre des deux embouchures. Seulement, la parasange persique est diversement évaluée: les uns la font de 60 stades, les autres de 30, les autres de 40. …. » Ce Patrocle était un

géographe employé, ainsi que Mégasthènes et Démodamas, et un certain Bérossos par Séleucos et son fils pour explorer les régions de leur territoire. Tarn écrit: « Ce qui est remarquable dans cette liste, jusqu’à présent, est que même notre tradition très fragmentaire s’est rappelée les noms de six hommes de Séleucie5 qui étaient intéressés à apprendre d’une façon ou d’une autre; la grande cité n’était pas entièrement livrée à amasser de l’argent, et on peut rappeler que ses conseillers, même à une date beaucoup plus tardive, étaient choisis pour leur sagesse aussi bien que pour leur richesse. » Et en note, il ajoute: « Tacite, Annales, VI, 42, opibus aut sapientia delecti. » La géographie avait pour objectif, entre autres, de tracer des routes fiables pour les caravanes et les bazars. Quant à la sagesse des deux premiers séleucides, elle fut remarquée même par les Romains. La confusion géographique des anciens auteurs ne peut être éclaircie de nos jours. Les sites géologiques ont changé, et ce que l’on a pris pour le lit asséché de l’Ochus n’est qu’un sillon naturel dans la terre. Strabon nous laisse perplexes et beaucoup se penchent sur le problème de l’Ochus et de l’Oxus. Strabon et Quinte Curce s’accordent pour situer l’Iaxarte comme ligne de démarcation entre le royaume achéménide et la Bactriane. Paul Bernard, qui a été le directeur des fouilles d’Aï-Khanoum identifie ce site avec l’ancienne cité d’Oxiane ou Alexandrie Oxiane.6 Ranajit Pal écrit7 qu’ Alexandre le Grand était connu « sous le nom de Alakh Chandra8, ou Chandra Kana par ses admirateurs asiatiques » et que derrière les noms comme Kanik et Aï-Khanoum peut bien se trouver le nom d’Ale-khan- dar, autre nom d’Alexandre en Asie. En uzbek, ‘Aï-Khanoum’ signifie ‘Dame Lune’, ou ‘Visage dans la Lune’ parce que le peuple discerne un visage féminin dans ce qu’ils voient de la lune. Pourtant, vu qu’en Afghanistan se trouve Kandahar, ville

  • Géographie, livre XI, 11, traduction Amédée Tardieu, Librairie Hachette et Cie, Paris, 1867.
  • Bérossos était un prêtre babylonien. Il y avait aussi Diogène, Euphranor, Apollophane, Apollodore et Agathocle de Séleucie. Voir Tarn, The Greeks in Bactria and India, Ares Publishers, Inc., Chicago, 1997, p. 41.

6 Etudes de géographie historique sur la plaine d’Aï-Khanoum, en association avec H. P. Francfort, Editions du Centre National de la Recherche Scientifique, Paris, pp. 5-9, 12.

7 Non-Jonesian Indology and Alexander the Great, Minerva Press, London, New Delhi, 2002, p. 63. Le livre est en vente exclusive via Amazon.com.

8 ‘Chandra’ signifie ‘lune’ en sanskrit.

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d’Alexandre, la théorie de Ranajt Pal est très séduisante et aussi poétique que ‘Dame Lune’.

La vallée de la rivière Kokcha est connue pour ses mines de lapis lazulis dans l’actuelle province de Badakhshan9. Ces mines connues depuis plus de 6000 ans fournissaient les lapis lazulis à l’Egypte et à la Mésopotamie, et aux pays environnants puisqu’elles sont mentionnées dans la Bible10. Plus tard elles fournirent les pierres aux Grecs puis aux Romains. Or, du temps de Séleucos I, la Mésopotamie était un de ses territoires, et elle resta séleucide jusqu’à la conquête des Parthes entre -160 et -140, puis définitivement en -126 lorsqu’Artaban II réaffirme son autorité sur le la région qui sera par la suite conquise par les Sassanides en 227 de notre ère. C’est aussi près de ces mines qu’était installée une colonie de la civilisation Harappa.11

Nous allons un moment poser quelque réflexion sur le lapis lazuli exploité au Badakhshan.

Lapis-lazulis

Le mot « lapis » en latin signifie « pierre » et « lazuli » est un nom arabe/persan, lazhward, apparenté au mot ‘azur’, qui veut dire ‘bleu azur’, ‘ciel’. La couleur ultramarine de cette pierre est très spéciale. Pline (Histoire Naturelle, livre XXXVII, chap. 39) la décrit ainsi, en l’appelant – comme on le faisait de son temps- saphir:

« Car le saphir, aussi, est éclatant avec des taches comme de l’or. Il est aussi de couleur azur, bien que quelques fois, mais rarement, il est violet; la meilleure sorte étant celle qui vient de Médie. En aucun cas, cependant, c’est une pierre diaphane; de plus, il ne se prête pas à la gravure quand il est parsemé de particules dures d’une nature cristalline. … »

Le lapis-lazuli, ou lapis, est une pierre rare qui se trouve seulement dans peu d’endroits comme l’Afghanistan, le Chili, les États-Unis (Caroline du Nord et Géorgie), le Canada, les Alpes autrichiennes et suisses, la Turquie, le Brésil, et près du Vésuve en Italie. La meilleure qualité de lapis est supposée venir d’Afghanistan car il contient moins de calcite et de pyrite, bien que certains pensent que le lapis du Mont Graves, Georgie (USA) présente les plus beaux cristaux.

C’est en Bactriane que la pierre fut d’abord exploitée. L’extraction en reste encore primitive. On doit allumer de grands feux sur les roches, puis on doit y jeter de l’eau. La roche en se refroidissant brusquement se fend et peut alors être travaillé. Comme pour l’extraction de pierres précieuses de tout genre, le travail comporte une sorte d’esclavage puisque les travailleurs sont enchaînés aux murs des puits de mines. Mais le lapis fascine l’imagination car les inclusions de pyrite en scintillant contrastent avec le bleu marine profond de lapis et crée ainsi une ressemblance avec le ciel nocturne. Le Livre des Morts des Égyptiens décrit une cérémonie mensuelle dans laquelle on utilise la pierre sculptée

  • Pendant le conflit avec les Soviétiques, les Afghans utilisèrent les mines explosives des Soviets pour faire exploser les mines de lapis lazulis. L’objectif étant de renflouer leurs fonds pour accroître leurs facultés de résistance.

10 Le roi Salomon, qui portait des pierres précieuses sur ses vêtements plus que les autres rois, est dit, dans plusieurs légendes, avoir été aidé par un ange du Seigneur qui lui donna un anneau magique qui lui permettait de contrôler les légions de démons qu’il utilisa pour bâtir son temple. Dans l’Exode, 28:15, le saphir qui doit orner le pectoral d’Aaron est un lapis. Dans Ézéchiel, 1: 26, le trône de Dieu est en lapis appelé saphir.

11 Ceci est traité par Gary Bowersox et Bonita Chamberlain in Gemstones of Afghanistan, Geoscience Press, Tucson, Arizona, 1995.

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en forme d’œil et décorée d’or. Ils croyaient que, par synchronie et sympathie, le dieu Râ mettrait sur son front une image semblable au même moment qu’eux le faisaient. Ils sculptaient le lapis en forme de scarabées que l’on trouve en grand nombre dans les pyramides. En outre, ils pulvérisaient la pierre, en confectionnaient un pigment bleu qu’ils appliquaient sur leurs paupières comme d’autres orientaux se mettent du kohl. Le masque funéraire de Tout Ankh Amon12 en or strié de lapis -lazulis nous laisse observer le bel effet que cela crée. Et pourtant même le jeune pharaon n’a eu droit qu’à de l’imitation, en verre coloré13. La belle Cléopâtre en faisait autant et a pu ainsi charmer le grand César puis le moins chanceux Marc Antoine. On retrouve le lapis dans les décorations du Taj Mahal (avant les pillages sans doute).

En ce qui concerne le lapis lazuli, on peut trouver sur Internet14 un excellent article de M.

Casanova, de l’université de Rennes 2, dans lequel, il écrit:

« Le rôle du lapis-lazuli est inséparable de trois données majeures:

1- C’est une roche rare et difficile à se procurer car elle se trouve uniquement dans des zones de très hautes montagnes. …

2- C’est le plus long des parcours entre les sites d’extraction et les grandes cités consommatrices. Les sites d’extraction sont au moins à 2.000 km des sites archéologiques de Mésopotamie et de Syrie où se trouvent les grandes cités consommatrices. … Partant des montagnes d’Afghanistan, la pierre d’azur circule en Iran, dans le Golfe, en Mésopotamie, en Syrie, au Levant, en Egypte, en Turquie et en Crête.

3- Les fonctions liturgiques, théologiques et politiques du lapis-lazuli étaient fondamentales dans les royaumes de l’Orient ancien. Les parures en lapis- lazuli étaient par excellence un attribut des princes et des divinités. Il symbolise la force de vie à la fois primordiale et surnaturelle qui est à la source de la génération et de la puissance des dieux. Il est une forme de protection pour le passage au Royaume des Morts. …

Les souverains de Syrie et de Mésopotamie s’approvisionnaient en lapis-lazuli, soit directement a Suse (Iran) qui servait de plaque tournante dans la circulation des produits originaires d’Asie centrale et du plateau iranien, soit par l’intermédiaire de cités comme Eshnunna, Larsa ou Ur. … Des cites comme Ur et Uruk, au Sud, Mari et Ebla (Syrie) sont aussi, au IIIe millénaire des centres au rôle actif dans la circulation des pierres précieuses le long de l’Euphrate et dans la réexpédition du lapis-lazuli vers la Palestine et l’Égypte; tout en assurant une fabrication adaptée à la clientèle locale. …

Des textes littéraires comme Emmerkar et le seigneur d’Aratta ou Lugalbanda et l’oiseau-Tonnerre attestent de l’existence d’échanges par voie terrestre (à pied ou avec des bêtes de somme). Ces récits reflètent à leur manière une donnée réelle: celle du transport de matériaux précieux comme le lapis-lazuli et l’or dans le cadre de convois caravaniers. Les tracés des voies de circulation du lapis-lazuli les plus vraisemblables ont été élaborés de manière surtout indirecte et hypothétique en mettant en relation les données archéologiques qui témoignent de la présence de la pierre sur divers sites et les conditions géographiques, topographiques et hydrographiques. La première est une route terrestre septentrionale. Partant des mines de Sar-i-Sang au Badakhshan, elle descendait la rivière Kokcha pour se diriger vers le bassin de la Tedzhen (Turkménistan). Elle longeait ensuite la chaîne du Kopet Dagh et atteignait les sites de Tureng Tépé15, Tépé Hissar et Tépé Sialk (Iran). Elle aurait alimenté ces sites, tandis qu’une partie du lapis-lazuli s’en allait vers

  1. Circa 1354 – 1346 av. J.-C.
  1. « The stripes of the nemes headdress are made of blue glass in imitation of lapis lazuli, and the same material has been used for the inlay of the plaited false beard. » Treasures of Tutankhamun, The Metropolitan Museum of Art, Ballantine Books, 1976, p. 134.
  1. Cahiers des thèmes transversaux: Le contrôle du lapis-lazuli en Orient des origines au début de IIIe millénaire av. J.-C., Cahier IV – 2002/2003, TABLE RONDE CONTROLE DES RESSOURCES
  2. Tépé signifie « montagne ».

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l’ouest cheminant au Nord-Est de l’Iran pour aller ensuite vers la Mésopotamie. La seconde est une route terrestre fluviale puis maritime de direction Nord-Est/Sud-Est. Elle utiliserait à partir du Badakhshan, la voie offerte par la rivière Hilmand pour rejoindre Mindigak (Afghanistan) puis Shahr-i-Sokhta (Iran). Elle se serait séparée ensuite en deux branches, l’une terrestre qui se dirigeait vers Shahdad et aboutissait à Suse (Iran). L’autre maritime qui empruntait le détroit d’Hormuz, accostait Dilmun (identifiée comme étant Bahreïn) et finissait à Ur (Iraq). La troisième est une route fluviale et maritime du Sud qui aurait utilisé la rivière Kaboul pour atteindre la plaine de l’Indus et ainsi rejoindre la mer d’Oman. De cette façon, les produits auraient été acheminés par cabotage le long des côtes du Golfe, vers les rivages de Sumer. Cette route a pu être empruntée de manière plus intense au moment de l’apogée de la civilisation harappéenne de l’Indus, les produits de la région de Quetta ont pu être facilement diffusés par cette voie. …

Le lapis-lazuli est un élément majeur des stratégies de pouvoir des souverains de l’Egypte du IVe au IIe millénaire avant J.-C. Il est un des fondements de leur puissance. Les dirigeants se procurent du lapis- lazuli ou des objets de prestige façonnés en lapis-lazuli par des moyens variés qui vont du pillage à l’achat sur les places de commerce en passant par le don et contre-don. … »

Les Romains ne furent pas moins fascinés que les Égyptiens, Alexandre, Séleucos, les Grecs, et les Mésopotamiens. Ils importaient la pierre par les commerces de caravanes des Nabatéens qui, les voyant pincés pour leurs produits, se mirent à monter sans cesse leurs prix. Car les dames romaines, les « dominae » se voulaient belles16. Au Moyen Âge, bien que le lapis coûtât plus cher que l’or, les artistes peintres l’utilisaient sous forme de pigment pour colorer les vêtements du Christ et de la Vierge Marie, ainsi que les voûtes des églises, des châteaux, les colonnes et les lambris des murs.

Alexandre le Grand, qui lui-même avait été proclamé pharaon, connaissait la valeur du lapis et la Bactriane représentait pour lui, non seulement une région satellite protégeant l’Iran des invasions nomades, comme les historiens le disent à juste titre, non seulement une sorte de terre d’exil pour y délaisser vétérans, blessés, récalcitrants et rebelles, mais aussi pour lui assurer le revenu du lapis, la route de la soie, et la route de l’or de Sibérie. Tarn a mentionné la route de l’or de Sibérie et la route de la soie, ainsi que les lapis de Sogdiane et de Badakhshan17. Les historiens modernes ne voient que la cruauté et la démence d’Alexandre. Ils laissent de côté l’aspect « homme d’affaires » d’Alexandre et, se fiant à Quinte Curce, ils nous montrent un Alexandre assoiffé de sang. Ils oublient qu’il était aussi assoiffé de richesses! Ils oublient surtout qu’il était prêt à partager cette richesse, car il était beaucoup plus assoiffé de gloire. Son pothos n’était certainement pas le caprice d’un jeune fou-fou cruel qui ne sait pas ce qu’il fait, mais d’un génie tel qu’il est difficile de l’appréhender dans sa grandeur. Il était d’un calibre que peu d’hommes peuvent non seulement atteindre mais même imaginer. Il était difficile d’être roi à son époque: s’il ne contrôlait ses hommes par l’exemple, ses hommes l’auraient tué. C’est dans sa faiblesse après Opis, quand il était sans doute épuisé et malade, mais décidé à ne plus montrer de cruauté qu’ils l’ont soit empoisonné, soit laissé mourir.

  1. Elles voulaient en outre des onguents, des parfums, des crèmes de beauté, des huiles précieuses, des teintures pour leurs cheveux, de l’encens, d’autres pierres précieuses, de la vanille, toutes sortes de produits venant de très loin par voie de caravanes nabatéennes.
  1. Tarn, The Greeks in Bactria and India, 3eme édition, Ares Publishers Inc., Chicago, 1997 p. 103.

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Séleucos, son successeur en Iran, en Mésopotamie, en Bactriane, partout sauf l’Égypte, la Macédoine et la Grèce18, a su comprendre les desseins de son chef. Pendant toute l’expédition, jusqu’en Inde, Séleucos s’est tenu dans une obscurité discrète et prudente. Il n’avait pas le génie d’Alexandre mais il avait cette grande qualité qu’on appelle faculté d’observation, et une autre qualité appelée prudence. Il n’était cependant pas moins assoiffé de richesses que les autres Macédoniens. Il avait donc aussi la vertu appelée patience. Le développement d’Aï-Khanoum fait partie des récompenses de sa patience. Il donna le gouvernement de la région à son fils, mi-Macédonien, mi-Iranien. Il n’est pas facile de régner en Afghanistan lorsqu’on est un étranger. Il faut supposer ici le conseil de sagesse venant d’Apama, et probablement de son beau-fils Chandragupta. Selon Ranajit Pal, il était aidé de tout le clan indo-iranien bactrien qui avait pour religion le zoroastrisme ou mazdéisme. Ce clan fut son guide dans des régions où les Britanniques, puis les Soviétiques et maintenant les Américains ont été ou sont en train d’être massacrés. Alexandre s’en est tiré par son seul génie. Séleucos s’en est tiré par l’intuition qui lui a dit d’écouter le clan d’Apama.

On imagine bien la force que les autres rois Grecs qui ont suivi Séleucos et Antiochos I, son fils, ont dû montrer et nourrir en eux pour se maintenir pendant deux siècles en Afghanistan: une illustration fascinante de la ténacité gréco-macédonienne.

Durant le long règne de Séleucos I, une vingtaine de nouvelles villes furent fondées depuis la Cilicie jusqu’à l’Iran. La plus célèbre est la Tétrapolis syrienne (Séleucie de Piérie, Antioche sur l’Oronte, Apamée sur l’Oronte, et Laodicée sur mer). Antioche devint la capitale séleucide. Dans le nord-est de la Syrie, sur le Haut Euphrate, Séleucos fonda Séleucie- Zeugma et sur la rive opposée, jointe par un pont (zeugma), il a fondé une autre Apamée; plus bas, il a fondé Doura-Europos et Berrhoée. En Mésopotamie, il a fondé Séleucie sur le Tigre, et d’autres villes. Entre la Mésopotamie et la Bactriane se trouve le plateau iranien, que Rémy Boucharlat du CNRS décrit ainsi19:

« Sur une carte, l’Iran apparaît comme une vaste cuvette désertique dont le centre est occupé par des lacs salés. À l’ouest et au sud, le Zagros, large massif montagneux, le coupe de la Mésopotamie au golfe Persique: au nord, une haute barrière culminant à 5 810 mètres, l’isole de la mer caspienne et des steppes d’Asie Centrale. À l’est enfin, le plateau iranien, semé de petites chaînes de montagnes, se prolonge vers l’Afghanistan et le Pakistan. Vus d’avion pourtant, et surtout lorsqu’on parcourt les routes, les paysages iraniens du plateau se montrent parsemés d’étendues vertes, et les vallées de montagnes, étroites ou vastes, sont peuplées et largement cultivées. »

En Bactriane, les archéologues ont récemment découvert plusieurs cités grecques. Le site d’Aï-Khanoum a depuis été pillé lors de la guerre suivant la chute du gouvernement communiste, comme ceux de Begram et de Hadda. Mais les résultats des recherches nous renseignent sur la présence grecque en Bactriane à l’époque de Séleucos I et de son fils Antiochos I ainsi que de leurs successeurs.

  1. Ainsi que la Phénicie et la Coëlé-Syrie qui lui avaient été volées par Ptolémée.
  2. Rémy Boucharlat, Saisir la personnalité de l’Iran, in Clio (voir Internet). Cet auteur a dirigé l’Institut français de recherche en Iran et a collaboré aux Dossiers d’Archéologie numéros 227 (« Iran. La Perse, de Cyrus à Alexandre » – octobre 1997) et 243 « Les Empires perses d’Alexandre aux Sassanides » – mai 1999).

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Écoutons Jean-Paul Roux20 dans son article « Quand l’Afghanistan était l’un des centres du monde » (Clio, 2001):

« Ce pays qu’on nomme depuis sa création au XVIIIe siècle l’Afghanistan formait une voie de passage essentielle entre Inde, Chine et Occident. Il reste cependant peu de monuments pour témoigner, tant la fureur des hommes s’est acharnée sur eux. Ce sont, à Bamiyan, gîte d’étape du bouddhisme dans son expansion vers la Chine, les deux grands Bouddhas (IIe et Ve-VIe siècles) hauts de cinquante-trois et de trente-cinq mètres, tailles dans une falaise truffée de grottes. C’est,

  • Herat, la citadelle d’Alexandre, refaite au XIIIe siècle et en 1416, qu’effritent les rafales de vent, …Peu de monuments donc, mais quel champ archéologique! On ne faisait que commencer à creuser le sol à Mungidak, site préhistorique, à Shotorak, Fundukistan, Guldara, ailleurs. On avait découvert à Aï Khanum (IVe -IIe siècle av. J.-C.) une ville hellénistique; à Surkh Kotal, un vaste temple des Ier-IIe siècles consacré sans doute au culte des ancêtres, sous influence grecque, jouxtant un autel du feu mazdéen, preuve qu’il existait un art gréco-iranien avant la diffusion du bouddhisme et avant l’art gréco-bouddhique. » En témoigne « Hadda, avec ses couvents, ses stupas, et surtout Begram, ville construite sur le plan orthogonal d’Hippodamos de Milet, resplendissante sous les Kouchanes, au IIe siècle, et qui a livré en particulier des ivoires, chefs-d’œuvre absolus.

Une mosaïque humaine

  • Begram, toutes les influences se font sentir, celles de la Grèce, de l’Inde, de la Chine (laques), des steppes. Sans doute cela ne se reproduira-t-il plus à un tel point, mais cet afflux des hommes et des cultures, venus des quatre horizons continuera pendant des siècles. On ne s’étonne plus alors, bien que l’islam ait fini par imposer sa foi et sa culture, que dans ce pays, vivent dix peuples et sont parlées vingt langues. …

Les interventions des Britanniques et leur constante veille aux frontières du nord-ouest découlent de la conviction que toute puissance installée en Afghanistan, et surtout à Kaboul, non seulement contrôle une voie de communication essentielle, mais ne peut pas résister au désir de s’emparer de l’Inde. L’histoire l’avait largement prouvé.

De Cyrus à Tamerlan…

Comme le futur Afghanistan faisait partie de l’Empire achéménide depuis Cyrus (vers 590-530 av. J.-C.), il fut conquis, comme lui, par Alexandre le Grand. Après avoir pris Bactres (-329) et guerroyé au nord, le Macédonien traverse l’Hindou Kouch et envahit les Indes. Des lors la voie est ouverte – si elle ne l’était pas des la préhistoire) – et ne se fermera plus. Ses successeurs, les Séleucides et le royaume gréco-bactrien de Diodote (-250-235), réunissent sous une même couronne – et elle est grecque – les terres entre Indus et Oxus. Peu après surgissent les peuples de la steppe, les Yue-tche d’abord qui franchissent les passes de Khyber, occupent le Pendjab et fondent en Iran et en Inde le royaume des Kouchanes (60 de notre ère), immortalisé par Kanishka et l’art gréco-bouddhique du Gandhara; les Huns Blancs, Ye Ta ou Hephtalites ensuite, vers 440-555, qui font de Kaboul un nid d’aigle – on y voit plus que des traces des murailles qu’ils y édifièrent -, d’où ils fondent sur les Indes. …. »

La Bactriane touche quatre pays: l’Inde, les steppes, l’Iran et la Chine. Elle est une voie de passage unique pour les armées qui veulent conquérir le monde, depuis Cyrus et Alexandre jusqu’à Gengis Khan en passant par tous les conquérants arabes, sans oublier Timour et Tamerlan. Sa légendaire richesse en a fait une région convoitée.

  1. Jean-Paul Roux, Directeur de recherche honoraire au CNRS, ancien professeur titulaire de la section d’Art islamique à l’École du Louvre. Il est l’auteur de « L’Asie centrale » – Histoire et civilisations, Fayard, 1997

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Il est admis de nos jours que Aï-Khanoum, Alexandrie sur l’Oxus, fondée par Alexandre le Grand lors de son séjour de deux ans en Bactriane, à la recherche de Bessos, était en fait refondée sur une cité perse plus ancienne, sous la direction d’Héphaïstion. L’objectif était de pouvoir y installer les vétérans grecs, les esclaves natifs de la région, les soldats blessés qui ne pouvaient plus combattre. Un certain Cinéas est cité dans une inscription que les archéologues ont découverte. Cinéas est un nom thessalien et ils en ont conclu que la cavalerie thessalienne a été stationnée à Alexandrie sur l’Oxus (ou Oxiane). Les Thessaliens avaient la réputation d’être de bons cavaliers. Certains supposent que ce Cinéas a été l’un des principaux agents de la réfection de la cité conquise par les Grecs. Une inscription trouvée à Alexandrie sur l’Oxus (Aï-Khanoum) indique:

Ces mots sages d’hommes anciens

Sont inscrits,

Assertions d’hommes célèbres, dans la sainte Delphes.

Cléarque les a copiés attentivement

Et les a inscrits,

Brillants depuis si loin, dans le sanctuaire

De Cinéas:

En tant qu’enfant, sois de bonne conduite,

En tant qu’adolescent, sois en contrôle de toi-même,

En tant qu’adulte, sois juste,

En tant que vieillard, sois de bon conseil,

En mourant, sois sans chagrin.

La cité, de 1.5 km2, montre des bâtiments grecs comme des temples, un gymnase, un rempart, des maisons avec des colonnes corinthiennes, un palais, des cours entourées de colonnades, des statues grecques qui étaient étudiées pour tenir debout sans être attachées

  • un mur, un théâtre contenant 5000 sièges, un cimetière, une citadelle construite sur un mont naturel de 60 m de hauteur, des pièces de monnaie grecques et indiennes, des cadrans solaires (comme a Taxila), des bijoux de type grec, une plaque représentant Cybèle, la déesse phrygienne, le dieu grec Hélios. L’architecture contient cependant des éléments d’influence achéménide. Selon John Grainger dans son livre Alexander the Great Failure (l’échec d’Alexandre le Grand), l’impression que nous avons que les Grecslaissés en Bactriane se sont trouvés privés de leur mer Méditerranée, de leur culture, de leurs aliments, de leurs temples etc., n’avaient d’autre choix que de se mêler à la population locale et survivre est fausse. Voici ce qu’il écrit à ce propos:

Le successeur d’Alexandre, « Séleucos trouva des groupes de Grecs et de Macédoniens parsemés à travers ses terres, ordinairement d’anciens soldats installés dans d’anciens centres perses ou de nouvelles garnisons macédoniennes. Il organisa plusieurs de ces campements en nouvelles cités, chacune avec un territoire défini, un ensemble de bâtiments publics, incluant des remparts. Chaque cité avait aussi une garnison établie dans une citadelle avoisinante; il établit des cités, mais aussi il s’assura d’en garder le contrôle. Certains de ces lieux étaient organisés pendant qu’il était en campagne à l’est en Bactriane (sic) et en Inde, et il hérita également des fondations d’Alexandre: Alexandrie – Kandahar, Alexandrie Eschatè et Merv, en Margiane. »

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Ainsi la colonisation fut encouragée et de nouveaux arrivants se présentèrent dans ces cités. Et ils eurent un immense impact dans l’art, dans l’architecture, dans les institutions politiques et civiques, dans l’art de la guerre, dans les écrits, le langage, la médecine, la philosophie. Mais comme tout a disparu sauf les nombreuses preuves, on a parlé du ‘mirage bactrien’. Ce n’est qu’avec la découverte par les archéologues français (puis soviétiques) d’Aï-Khanoum au nord de l’Afghanistan, que le mirage s’évanouit pour devenir une réalité historique.

L’un n’empêche pas l’autre, car les Grecs laissés en Bactriane par Alexandre avaient presque tous été massacrés par les Macédoniens sous les ordres de Perdiccas. Il n’en restait presque pas, et ceux-là se sont probablement mêlés, par nécessité, à la population locale.

Alexandrie sur l’Oxus se développa sous Séleucos, Antiochos, et les rois qui les suivirent. Le roi Eucratide, surnommé ‘le monstre de la numismatique’ pour ses énormes pièces d’or et d’argent, d’une unique beauté, a régné en Bactriane et ses pièces ont été retrouvées à Aï-Khanoum.

Graham Shipley21 mentionne Claire Préaux, et cite le mot « étanchéité » qu’elle emploie22 dans son étude sur la société hellénistique et qu’elle renforce par « imperméabilité quasi totale »; il écrit « dans les colonies telles que Aï-Khanoum et Ikaros (Failaka), il n’y a aucune preuve de ségrégation spatiale entre les maisons grecques et non grecques. L’opposition contre les Séleucides ne venaient pas exclusivement des non Grecs. » Sherwin-White et Kuhrt23 remarquent: « il est aussi probablement anachronique (si à la mode) de s’attendre à une opposition des sujets à un empire ou à une monarchie ». De même, en accord avec Sherwin-White et Kuhrt, Shipley doute de l’assertion que les Macédoniens et les Grecs détenaient les meilleurs postes car il n’y a aucune preuve d’un tel fait, ni du contraire. En effet, les non Grecs adoptaient des noms grecs. Shipley écrit qu’il n’y a aucune preuve montrant que les habitants aient été appauvris par les taxations militaires. Selon lui, les Séleucides avaient adopté le régime achéménide qui les avait précédés.

Holt24 nous parle d’un roi Agathocles qui frappa monnaie avec son portrait artistiquement gravé d’un côté des pièces et un Zeus tenant une Hécate sur l’autre. Sur d’autres pièces de moindre valeur, Agathocles choisit Dionysos et la panthère. On peut lire sur les pièces BASILEOS AGATHOCLEOUSavec l’épithèteDIKAIOUs’ajoutant plus tard au nomd’Agathocles. Pourtant ce même roi, frappa des pièces de monnaie de type oriental en bronze et en argent, carrées ou rectangulaires. Les divinités choisies pour ces pièces sont indiennes: Vishnou, ou Shiva, ou encore Bouddha, Balarama, et Vasudeva. On a retrouvé ces pièces à Aï-Khanoum. R. B. Audouin et P. Bernard ont traité la question dans « Trésor de monnaies indiennes et indo-grecques d’Aï-Khanoum (Afghanistan) II: les monnaies indo-grecques », RN 16 (1974). Certaines des pièces sont bilingues, d’autres sontseulement gravées en brahmi ou en kharoshthi (dérivé de l’araméen) et les pièces sont donc de « Rajane Agathuklayasa ». Sans ces pièces, nous ne saurions encore rien de

  1. Graham Shipley, The Greek World after Alexander 323-30 BC, Routledge History of the Ancient World, London and New York, 2001, p. 323
  2. Claire Préaux, Le Monde Hellénistique: la Grèce et l’Orient de la mort d’Alexandre à la conquête romaine de la Grèce (323-146 av. J.-C.), I-II, Nouvelle Clio, Presses Universitaires de France, Paris, 1978.
  3. From Samarkhand to Sardis: A New Approach to the Seleucid Empire, Duckworth, London, 1993
  4. Alexander the Great and Bactria, E.J. Brill, Leiden, New York, Köln, 1993, p. 2.

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l’existence passée d’un roi Agathocles en Bactriane. Elles nous racontent la fusion de la culture grecque et de la culture indo-iranienne sur ce qui est le plus commun dans notre vie, l’argent, la monnaie qui nous permet de vivre grâce à l’échange. Elles nous parlent de la ténacité hellénistique si loin des rivages de leur thalassa. Elles témoignent de leur puissance, leur richesse, leur capacité à se défendre, survivre, et surmonter les obstacles dans un monde étranger, désertique, montagneux, contrasté. Et si les historiens modernes veulent nous dépeindre un méchant Alexandre, vilain colonialiste, bientôt plus cruel que Tamerlan, Mao, et Hitler, qui s’acharnait contre ces populations civilisées qu’il avait l’audace de traiter de ‘barbares’, et s’ils veulent étaler encore leur déplorable incompréhension du mot ‘barbaros’ en grec, et du fait, pourtant simple, que l’historien ne doit juger les personnages du passé selon les normes qui lui sont contemporaines, puisque tout est transitoire, il n’en demeure pas moins que nous avons le privilège et la prérogative d’écouter ce que nous dit notre cher Plutarque25:

« Alexandre… enseigna aux Arachosiens à cultiver le sol, et persuada les Sogdiens de donner du soutien plutôt que d’assassiner leurs parents. … Il invita les Indiens à accepter les dieux grecs, et les Scythes à enterrer plutôt que de manger leurs morts. … Il enseigna aux Gédrosiens les tragédies d’Euripide et de Sophocle. Grâce à Alexandre, les peuples de Bactriane et du Caucase pratiquaient le culte des dieux de la Grèce. …Il implanta les institutions grecques à travers toute l’Asie (connue), et ainsi il contrôla sa façon de vivre sans retenue et sauvage. … Ses ennemis n’auraient pas pu être civilisés s’ils n’avaient été battus. … La grécité portait la marque d’excellence, mais la méchanceté était le mode de vie des barbares. …. »

Plutarque et Tarn sont mis au piquet, punis par les historiens modernes. Et pourtant, les Grecs étant en nombre minoritaire, si leurs institutions avaient été si odieuses et retardées pour les Barbares si civilisés qu’ils n’avaient nul besoin d’eux, ils auraient été chassés ou massacrés…surtout dans le territoire désertique, montagneux, sec, chaud, puis froid d’Afghanistan. Si les peuplades d’Asie Centrale ont aimé se saluer en disant « Cha ïre! » jusqu’au premier siècle de notre ère, s’ils ont laissé construire ces colonnades, ces gymnases, et ces temples, c’est que, chez eux, cette civilisation venue de loin était la bien venue. Preuve supplémentaire, les Kouchanes l’ont adoptée, car elle leur convenait mieux que la leur!!! D’ailleurs, voici ce que nous dit Holt, p. 70 de son livre Into the Land of Bones:

« Curieusement, les légendes d’Alexandre fleurissent encore dans ces vallées éloignées où le roi a laissé sa marque. Il y a une Iskander Darya (rivière Alexandre) qui sort de l’Iskander Kul (Lac d’Alexandre). Les habitants des lieux croient qu’Alexandre a bâti un barrage d’or pour former le lac, et que des mouchetures du barrage peuvent encore être recueillies au bas du cours d’eau à Ayni et Penzhikent. Ils rapportent en outre que, à chaque pleine lune, le cheval de confiance d’Alexandre, Bucéphale, s’élève au-dessus du lac et traverse le ciel nocturne. »26

Les Grecs abandonnèrent Aï-Khanoum vers 130-120 av. J.-C., poussés par les nomades indo-européens des steppes, les Scythes ou Sakas, puis les Yuezhi ou Huns blancs. Les Hellènes allèrent donc en Inde!27

  1. De Alexandri Magni Fortuna aut Virtute, I 328C-329D.
  1. Voir aussi Michael Wood, in the footsteps of Alexander the Great, University of California Press, Berkeley, 1997, p. 166.
  1. Le dernier roi gréco bactrien, Hélioclès déplaça sa capitale de Balkh à Kabul. Puis les Yuezhi décidèrent d’envahir l’Inde.

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Les villes ou cités grecques fondées par Séleucos et son fils, sont donc pour la plupart des refondations sur des sites existants, des agrandissements, des embellissements: Séleucos voulait des ‘poleis’, à l’instar d’Alexandre le Grand qu’il fut le premier à imiter. Les ‘poleis’ des Séleucides nous entraînent dans de multiples aventures géographiques,géologiques, politiques, culturelles, etc. semble-t-il ad infinitum.

Monique L. Cardell, Ph.D.

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