Percer le voile de la conscience égoïste

Les psychologues cognitifs appellent « métacognition » l’activité qui consiste à prendre du recul et à réfléchir sur votre façon de penser. C’est ce que vous faites quand vous faites une pause dans votre recherche d’une solution et que vous vous demandez si votre compréhension du problème lui-même est la bonne. Contrairement à ce que pensent généralement ces psychologues (ou du moins ce à ce que suggère l’auto-définition de leur discipline), une telle compétence cognitive s’enracine dans une compétence morale. Elle ne peut pas être reflétée par les tests de quotient intellectuel du psychomotricien, ni par la vision réductrice de l’intelligence comme « capacité de traitement de l’information », comme si les données de l’expérience nous étaient simplement données, justement, à la façon dont elles sont transmises à un ordinateur. Dans le monde réel, les problèmes ne se présentent jamais à nous sans être marqués par quelque ambiguïté. Le claquement des pistons peut effectivement ressembler au bruit de poussoirs desserrés et, par conséquent, un bon mécanicien doit constamment garder à l’esprit la possibilité d’être dans l’erreur. Il s’agit là d’une vertu éthique.

Iris Murdoch écrit que, pour bien réagir au monde, il faut d’abord le percevoir clairement, et que cet effort requiert une certaine forme d’effacement du moi. « Tout ce qui peut modifier la conscience dans un sens désintéressé, objectif et réaliste doit avoir rapport à la vertu ». « La vertu est l’effort pour traverser le voile de la conscience égocentrique et pour retrouver le monde tel qu’il est réellement ». Cet effort n’est jamais complètement couronné de succès parce que nos propres préoccupations interfèrent constamment avec lui. Mais sortir de soi-même est la tâche de l’artiste, et aussi celle du mécanicien. Quand ils exercent correctement leurs talents, tout deux ont recours aux pouvoirs de leur imagination non pour « fuir le monde » mais pour « le retrouver, et c’est ce qui nous exaltent, étant donné la distance séparant une appréhension du réel de l’engourdissement de notre conscience quotidienne ».

Toute discipline qui met l’individu aux prises avec une réalité ayant sa propre autonomie et sa propre autorité exige une certaine dose d’honnêteté et d’humilité. Il me semble que c’est partiellement vrai des arts stochastiques dont la fonction est de réparer des objets que nous n’avons pas fabriqués nous-mêmes, comme la médecine et la mécanique. De façon analogue, dans les arts fondés sur la représentation, l’artiste assume une certaine responsabilité à l’égard d’une réalité autonome. Si nous échouons à répondre de façon adéquate à l’autorité de ce type de réalité, nous sommes des idiots. Mais si nous réussissons à le faire, nous éprouvons le plaisir qui accompagne l’acquisition d’une perception plus aiguë et la sensation que nos actions sont de plus en plus justes et adaptées à leurs fins au fur et à mesure que nous les rendons conforme à cette perception à travers un va-et-vient répété entre le voir et le faire. L’action améliore notre vision des choses dans la mesure où elle nous rend vivement conscients du moindre défaut de notre perception.

Matthew Crawford

Extrait du livre « Eloge du carburateur », éditions La Découverte, 2016 (2010), pp 116-118

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