Voir l’apparition d’une nouvelle civilisation axée sur la Vie

La confiance et l’espérance sont performatives. Si collectivement nous croyons vraiment en quelque chose, ce quelque chose a de meilleures chances de se réaliser. Tel est un grand mystère de la vie et de la foi collective, qu’exprime la doctrine populaire de la méthode Coué et plus profondément toutes les grandes spiritualités. Si donc, nous nous mettons à voir, à dire et à croire à l’émergence d’un nouveau cycle civilisationnel fondé sur la puissance créatrice de la Vie, celui-ci va plus rapidement s’effectuer, et les tragédies à venir seront moins catastrophiques et dureront moins longtemps. Il est vrai que le mouvement de balancement n’est pas aisé. Car il faut en même temps se nourrir des observations et des théories de l’effondrement de la civilisation de la Modernité techno-scientifique qui sont justes et justifiées, et rebondir sur le versant ascendant de la civilisation de la Vie.

Notre confiance et notre optimisme, traversés et animés dans leur profondeur par les énergies de la vie, se trouvent confortés par les observations objectives et partageables que nous avons faites des multiples solidarités entrepreneuriales qui apparaissent dans notre vie sociale, économique et politique. La dynamique de leur mise en réseaux est de plus en plus active. Cette étape est décisive. Ces collectifs sont pour beaucoup nés de façon généralement isolée et hétérogène dans les villes, les territoires périurbains ou les campagnes en France, et dans de nombreux pays du Nord et du Sud. Aujourd’hui, ils gagnent en rayonnement, en robustesse et en puissance par leur connexion et leur mise en synergie. Cela est important, car la confrontation avec l’ « ancien monde » va aller se durcissant.

Il importe donc de développer des solidarités tant pratiques qu’intellectuelles et spirituelles. Le travail utile de la pensée, c’est-à-dire de la connaissance, est de montrer les caractéristiques communes à ces émergences, les valeurs partagées qui les animent, de façon à faciliter leur reconnaissance mutuelle et de favoriser leurs communications. La finalité de la technique est d’être au service de cette mise en réseau. Dans la civilisation de la Vie, la technique est dédiée à la vie, c’est-à-dire à l’humanisation des humains, dont la vocation est de servir, d’honorer et de développer la vie par l’attention à tous les vivants, et non plus de la dominer et d’accaparer ses ressources.

C’est pourquoi le Web et ce qui s’y joue est fondamental pour relier et diffuser ce qui s’invente et s’expérimente aux quatre coins de la planète. La civilisation de la Vie est planétaire, notre planète étant devenue un village suite à l’expansion mondiale de la Modernité occidentale. C’est aussi le Web qui, espérons-le, devrait nous permettre de réaliser rapidement la connexion ascendante et coopérative de tous ces collectifs innovants, bases vivantes de la nouvelle société fondée d’abord sur l’horizontalité et l’immanence, et non plus prioritairement sur la verticalité et la transcendance.

En effet, la Modernité occidentale a hérité et a conservé une structuration descendante de la société. La Science des savants a remplacé la Bible des théologiens qui elle-même avait remplacé la Philosophie des sages de l’Antiquité, mais toutes les trois disaient à leur façon le Bien, le Beau et le Vrai, tels que Platon et la philosophie grecque nous l’ont enseigné. C’est à cette sphère surplombante et divine, transcendante à la vie pratique et ordinaire, qu’il nous fallait accéder pour bien organiser la société des hommes. Mais cet imaginaire tout à fait cohérent est, après tant de siècles de fécondité, désormais en voie d’épuisement. La nouvelle structuration de la société repart de la base, c’est-à-dire de petits collectifs qui s’allient les uns aux autres. La coopération s’active là où chacun ne peut être efficace seul, mais les autonomies sont premières. La société se construit alors en remontant du bas vers le haut. La subsidiarité devient ascendante et non plus descendante. C’est le niveau de la petite taille qui délègue à l’échelle supérieure ce qu’il ne peut réaliser lui même, mais en gardant le maximum de marges de manoeuvre et de liberté. Il apparaît clairement que nos institutions publiques ancrées et fondées dans une vision descendante sont en immense difficulté pour accueillir ces nouvelles dynamiques bottom-up. D’où les conflits que l’on observe de plus en plus et qui reposent sur des conflits de valeurs. La refondation du politique passe par cette inversion radicale, qu’il est quasiment impossible aux idéologies politiques dominantes d’appréhender et a fortiori de réaliser.

La question de la taille, de la très grande taille de collectifs de millions et de milliards d’humains, est tout à fait nouvelle, et nous sommes en manque d’une philosophie politique pour penser cette construction ascendante de la société mondiale. Nous pouvons cependant commencer à observer cette élaboration à différentes échelles de taille, lors d’initiatives nationales ou mondiales qui relient des milliers, voire des dizaine de milliers de personnes actives dans des collectifs de tailles variées, et qui mettent en œuvre une formidable intelligence collective, qui se révèle bien plus performante que la simple addition des intelligences individuelles. Il importe d’être nombreux sur cette ligne de front conceptuelle réellement nouvelle, afin de bien comprendre le fonctionnement de l’intelligence collective humaine, et ainsi de consolider la structuration de nouvelles institutions dont la finalité est la croissance de la Vie sous toutes ses formes, et le respect des autonomies et des libertés à tous les niveaux de l’échelle.

Nous pouvons pour cela regarder les dynamiques en cours dans des mouvements, des entreprises, des initiatives, des philosophies … , d’origine et d’inspiration au départ diverses, mais qui, et c’est heureux et somme toute logique dans la vision du monde à venir, convergent et se renforcent mutuellement.

Olivier Frérot

Extrait du livre « Vers une civilisation de la Vie – Entreprendre et coopérer », éditions Chronique sociale, 2019

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