Le glossaire des 9 valeurs émergentes

1 – Se développer chacun-e par l’entreprendre

1 – 1 L’individuation face à l’individualisme 

Chacun-e souhaite réussir sa vie, la sienne, singulière. Vivre ce déploiement n’est possible qu’en faisant quelque chose avec d’autres, qui eux aussi se déploient singulièrement. Il y a rencontres des singularités de chacun dans ce faire ensemble nécessaire à mon individuation. Elle s’oppose à l’individualisme, où je me développe sans les autres, c’est-à-dire contre les autres. Le lieu de l’entreprendre est le lieu majeur où j’expérimente mon individuation, la découverte continuelle de moi-même, mes capacités, ma personnalité en interagissant avec d’autres humains, différents de moi, ce qui contribue à nos développements respectifs par la recherche de l’harmonie de nos subjectivités.

1 – 2 L’attention fondamentale au corps et à la matière dans un monde digital

Bien que l’univers immatériel, numérique, se développe considérablement, nous retrouvons le chemin de notre corps. Avec la diminution de la domination du rationnel, nous devenons plus attentifs aux dimensions sensibles et affectives de nos existences. Cela se manifeste clairement dans les pratiques multiples issues des sagesses orientales, comme le tai chi ou le yoga, ainsi que dans la méditation et son attention sur la respiration. Le souci du bien-être au travail concerne pour une large part les bonnes conditions matérielles du cadre professionnel  et favorise ainsi des relations apaisées. Cette attention au corporel, au concret et à la matérialité des choses, active les liens fondamentaux entre les humains, les vivants et les éléments de la nature, et contribue à prendre soin des corps vivants et de la matière. 

1 – 3 La bienveillance face aux fragilités et vulnérabilités de chacun-e 

Nous expérimentons, et cela d’autant plus que nous avançons en âge, la fragilité de la vie, celle de nos proches, la nôtre elle-même, via les événements qui arrivent sans prévenir. Dans un monde de plus en plus chaotique, tant les individus que les collectifs sont percutés par des chocs déstabilisateurs. Il s’agit, non pas de chercher à maîtriser des événements imprévisibles, mais d’être un soutien tant relationnel que matériel face aux difficultés des personnes, en sachant que nous sommes tous égaux devant les aléas de la vie. La créativité de tous est stimulée pour trouver des solutions. Cette écoute, cette attention en ces moments de détresse, développe la perception que ce n’est pas la seule utilisation de ma force de travail qui intéresse l’entreprise, mais une relation plus profonde se crée, qui peut ouvrir vers les dimensions existentielles et spirituelles. À partir de cette confiance, je pourrai à mon tour donner plus que ma stricte force de travail pour marquer ma solidarité vers les collègues en souffrance, vivant ainsi l’entreprise comme un collectif solidaire.

2 – Entreprendre et réussir ensemble

2 – 1 La sérendipité et l’accueil de l’incertitude comme opportunité pour l’action

Il s’agit de voir les événements imprévus qui dérangent les plans bien établis, de façon positive et heureuse. Et se dire alors que d’une difficulté quelque chose d’intéressant, de fructueux, peut sortir. La vie génère en permanence des décalages, des surprises, mais nous y sommes généralement peu attentifs. Elle devient beaucoup plus intéressante quand nous développons cette capacité d’élargissement de notre attention pour sortir de nos routines. Par exemple, pour un manageur, répondre positivement à une demande de rendez-vous à première vue inadéquate, ou suggérer des rencontres dont on ne programme rien de particulier comme objectif. Ou aller à des invitations non directement en lien avec l’activité de l’entreprise. Dans un collectif de personnes vives en relation, de l’inattendu et de la nouveauté surgissent fréquemment. Il s’agit de saisir ces opportunités non programmées qui se présentent, et même de les provoquer. Et donc, d’être le plus souvent possible, en état réceptif à notre entourage et notre environnement. Des actions fécondes, mais inimaginables avant la situation imprévue, peuvent alors être déclenchées et ouvrir à des projets fructueux.

2 – 2 Le partage du sens pour et par une gouvernance de l’entreprise vue comme un commun 

Je m’engage d’autant plus dans l’entreprise que je prends une part, même minime, dans sa conduite. Je me sentirai concerné par la marche de l’entreprise si j’appréhende suffisamment l’ensemble des processus, et si mon grain de sel est accueilli positivement, vis-à-vis de la stratégie, des alliances, de l’évaluation des décisions et des orientations prises, du partage de la richesse produite. Si je suis fier des produits de l’entreprise, parce qu’ils sont vraiment utiles à une partie de l’humanité, voire à tout humain, aux vivants et à l’équilibre de la planète, je serai en de bonne disposition pour apporter ma créativité pour le développement de la communauté entreprenante. Cela concerne aussi bien les personnes individuelles que les équipes, les collectifs, les parties prenantes. Il importe donc que des lieux existent au sein de l’entreprise où ma contribution puisse être entendue : conseil d’administration, conseil stratégique ou d’orientation, instances légales de réunion du personnel, réunions dédiées régulières avec tout le monde, groupes de travail

2 – 3 Un management humble qui respecte les altérités et favorise les relations 

Dans un monde structurellement incertain, la volonté de maîtrise, qui était efficace il n’y a pas si longtemps, se révèle impuissante à anticiper de plus en plus les petits et les grands événements qui nous percutent. Il devient périlleux, pour un manageur, de planifier rigoureusement les tâches de chacun. Le monde chaotique dans lequel nous entrons nécessite des démarches en essais-erreurs, avec, sur la ligne de front, des personnes solidaires aux compétences variées. Le collectif entrepreneurial a donc intérêt à cultiver des parcours d’inclusion de personnes d’origines différentes, en souhaitant davantage le métissage que la conformité à la culture dominante. Et c’est avec une conduite modeste, pragmatique, coopérative, qu’une équipe, unie par ses diversités, peut tracer un chemin fécond dans un paysage embrouillé. Une telle attitude appelle la solidarité de tous, la confiance dans le collectif, et non pas seulement dans les qualités d’un seul qui se montreront assez rapidement limitées et désaxées.

3 – Mettre l’ouverture au monde et à la société au cœur de la finalité

3 – 1 Le service aux humains et à la société

Le souci des autres êtres humains, conduit à une responsabilité que je ressens pour ne pas abîmer leurs conditions de vie, et, au contraire, les améliorer. Cette attitude, qui est d’abord une attitude intérieure de se sentir concerné par toute vie humaine, gagne progressivement davantage de personnes, au sein de la société. L’entreprise peut être en phase ou en contradiction avec cette inclinaison. Son positionnement influera mon engagement vis-à-vis d’elle. Les démarches effectuées pour diminuer ses pollutions et ses effets négatifs sur notre milieu commun de vie n’est pas seulement important pour respecter les normes. Elles mobilisent ma participation créatrice, et elles me donnent de la fierté. Et ce d’autant plus si la communauté entrepreneuriale développe des actions pour prendre soin des conditions de vie des êtres humains. L’entreprise devient alors, non seulement un lieu de production de richesses économiques et sociales, mais également sociétales et civiques.

3 – 2 Le soin de la planète et des territoires

L’écologie est une philosophie de vie. Elle consiste à se sentir relié à tous les êtres vivants, aux choses, et aux éléments de la planète. Il y a de la joie à se sentir le nœud d’un immense réseau d’êtres en interaction tous ensemble. Même si c’est tout petit devant l’immensité du monde, ce n’est pas rien. J’apporte ma petite goutte d’eau, comme le colibri. Ce qui est vrai pour moi, l’est aussi pour le collectif que forme l’entreprise. L’entreprise prend-elle soin de toutes ses parties prenantes et notamment des lieux, des territoires où elle est impliquée ? Est-elle un rouage bienfaisant d’une multitude d’autres collectifs solidaires qui construisent une société vivable ? Cela concerne ses productions, mais aussi largement son management, sa gouvernance, sa vision sociétale. Plus celles-ci seront en phase avec l’unité de la société dans toutes ses diversités et avec la vie sur notre planète, plus je m’y sentirai engagé.

3 – 3 La culture de l’espérance et de l’optimisme 

La création d’une entreprise nécessite une énergie considérable et une forte dose d’optimisme pour franchir les obstacles qui jalonnent son émergence. Se ressourcer à ces énergies originelles permet d’engranger des forces pour écarter les nouveaux obstacles qui se présentent, et garder vivante la finalité qui est d’entreprendre ensemble pour se déployer individuellement et collectivement. Cela fortifie la foi en les forces de vie et les valeurs émergentes qui construisent des chemins pour résoudre les blocages et dépasser les insuffisances. Favoriser les échanges entre les acteurs optimistes du collectif entreprenant conduit à des effets positifs sur le moral et donc l’inventivité. La confiance s’en trouve affermie. Il importe pour chacun et a fortiori pour les dirigeants de se ressourcer en dehors du lieu strict de l’entreprendre, par l’art, la spiritualité, la lecture, le sport, la nature, … ainsi qu’en des lieux positifs, auprès d’autres pairs. L’appel à des conseillers peut être un appui déterminant dans les passes délicates de l’entreprise, afin de ne pas demeurer isolé.

Pour écrire ce glossaire, nous avons choisi les valeurs qui nous semblaient les plus adaptées pour une entreprise, un collectif humain entreprenant, de façon à être audible par des personnes engagées dans les entreprises aujourd’hui, et notamment les dirigeants. D’autres valeurs, en phase avec celles-ci, peuvent être indiquées, et le développement de la nouvelle civilisation va progressivement les rendre plus visibles et les mettre en avant. Notre tâche collective sera de les apercevoir, de les nommer, afin de les partager et de les conforter. Ne perdons pas de vue, en effet, que la civilisation de la Vie est encore fragile et en opposition avec la Modernité qui la combat. Elle doit se glisser dans les interstices que laissent apparaître à son corps défendant le main stream. Elle doit pratiquer la stratégie de la discrétion pour ne pas provoquer les violences contre elle. Ces valeurs ne sont en effet pas encore dominantes dans l’ensemble de notre société, loin de là. Elles apparaissent à bas bruit, sans tambour ni trompette. Le travail des poètes, poètes-penseurs, poètes-philosophes, est de proposer des paroles, des noms, des mots, pour dire à celles et ceux qui tendent l’oreille dans leur direction, cette toute nouveauté qui nous saisit et nous lance dans une nouvelle aventure civilisationnelle. Cette tâche est inépuisable, elle rassemble une multitude de personnes qui se font la courte échelle par la communication de leurs créations et de leurs observations. Elle s’inscrit pleinement dans l’individuation et la solidarité. C’est en cela qu’elle est enthousiasmante car absolument pas balisée !

En faisant nôtres ces valeurs émergentes nous pouvons capter les énergies qui viennent de l’avenir. De fait, nous voyons qu’elles sont déjà à l’oeuvre en de multiples personnes et collectifs solidaires. Notre désir, et c’est aussi notre joie, est de contribuer à leur déploiement dans toutes les entreprises humaines, en commençant par soi-même.

Nous allons regarder maintenant comment ces valeurs se déploient déjà dans une grande diversité de formes de collectifs entrepreneuriaux, et comment dans ces communautés elles se révèlent fécondes, rendant ces entreprises attractives et dynamiques. Celles-ci contribuent à la construction de la nouvelle civilisation de la Vie, et les personnes qui y participent y trouvent un sens affirmé pour leur action et leur engagement.

Olivier Frérot

Extrait du livre « Vers une civilisation de la Vie – Entreprendre et coopérer », éditions Chronique sociale, 2019

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