Être, c’est être dans le futur

Le futur est toujours imprévisible, ouvert à des possibilités incertaines comme ces « bifurcations » du temps, que décrit Borges, et le cogito ne peut pas décider d’être de façon sûre, le cogitatum du futur. En fait, l’avenir trahit souvent ses intentions et ses attentes. Bien sûr, nous pourrions subjectivement inventer les prédictions de l’avenir, mais nous ne pourrions pas le faire objectivement avant son arrivée. Théologiquement parlant, seul Dieu sait ce qu’est l’être parce que seul Dieu connaît le futur ; et d’un point de vue philosophique, personne ne connaît l’avenir parce que ce sont les mentalités changeantes des autres qui font l’avenir. Ou je devrais dire que l’autre est notre avenir. Par conséquent, l’avenir des possibilités incertaines est toujours transcendant à la subjectivité, il n’est jamais constitué transcendantalement du fait du cogito.

La phénoménologie n’a raconté que la moitié de l’histoire de l’être ou la moitié de l’objectivité des êtres. Je pense que cette faiblesse réduit considérablement les chances que la phénoménologie soit la philosophie première attendue par Husserl. C’est précisément qu’être, c’est être dans le futur, et c’est pourquoi l’avenir doit être une question centrale de l’ontologie. Et je pense que Descartes a raison de laisser la subjectivité incomplète et que l’objectivité soit décidée par Dieu. En tant que panthéiste, ou peut-être athée, je retourne à Descartes et propose un nouveau départ pour une « philosophie première » basée sur le principe de facio ergo sum au lieu de cogito ergo sum.

Maintenant, je pense que la phénoménologie de la subjectivité n’est qu’une mythologie monothéiste moderne. Doté d’un monde interne d’objectivité dans la subjectivité, un ego ressemble à un dieu épistémologique, à un épitomé ou à une miniature de Dieu possédant ontologiquement le monde entier des possibilités infinies, et cela pour tous les temps. Peut-être dira-t-on que Husserl n’est pas vraiment monothéiste parce qu’il se préoccupe du problème de l’autre dans sa philosophie tardive. C’est vrai. Mais il échoue à cause de la limitation monothéiste de sa théorie de la subjectivité. Il est presque impossible de constituer  intentionnellement ou de transcender de manière transcendante l’autre esprit dans les limites confidentielles de ma subjectivité.

Zhao Tingyang

Extrait de l’ouvrage « Un dieu ou tous les dieux », dialogue entre Zhao Tingyang et Alain Le Pichon, éditions « Cent Mille Milliards » Transcultura, 2019, pp.113-114

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